Vous avez peut-être déjà remarqué ces coulures noirâtres sur les balcons et façades des immeubles contemporains.

Si c’est le cas, je vais vous expliquer dans cet article pourquoi autant de façades contemporaines deviennent, après quelques années seulement, aussi dégueulasses … pardon, détériorées.

Pour commencer, un rappel historique très rapide (et intéressant) :

Pendant des siècles, l’homme a construit avec les matériaux que lui offrait la nature, par exemple la terre, le bois et bien évidemment la pierre. En Europe cette dernière,  souvent calcaire, relativement solide et facile à façonner, a longtemps été le matériau de prédilection pour bâtir durablement. L’inconvénient de la pierre calcaire, est bien  évidemment sa vulnérabilité à l’érosion, au gel ou simplement à la pollution et aux impuretés qui s’y déposent superficiellement.. Bref notre pierre calcaire déteste tout ce qui peut provenir des ruissellements de l’eau de pluie.

Et c’est un sacré problème quand on sait à quel point il peut pleuvoir dans certaines régions européennes. Pour protéger les façades calcaires des intempéries, l’homme a donc conçu des toitures en saillie. L’avancée du toit hors du mur, nommée avant-toit ou débord de toit, sert donc à protéger des intempéries l’espace sous-jacent.

La pluie pouvant tomber légèrement en biais, pour les très hautes façades, on a ajouté à intervalle régulier des corniches. Et oui, la corniche n’est pas qu’un élément décoratif, mais a bien un but pratique. Celui de rejeter les eaux de pluie loin de la façade.

La corniche et le toit à versants sont ainsi restés des éléments de base dans l’architecture européenne pendant des siècles.

Mais après la seconde-guerre, tout a changé.. L’architecture a traversé une révolution portée par de nombreuses innovations techniques mais aussi idéologiques. Le nouveau courant dominant a tiré un trait sur l’histoire architecturale du continent et a ainsi décidé de bannir tout ornement, désormais jugé « kitsch » et passéiste.

La corniche étant considérée par les architectes contemporains comme un élément décoratif, celle-ci a été proscrite de l’architecture moderne de « bon goût ».

Encore plus radical, à partir des années 70, les toits à versants ont commencé à disparaître au profit des toits-terrasses. Probablement considéré comme trop lié à une vision passéiste de l’architecture, le toit à versants n’est aujourd’hui guère plus présent que sur les petits pavillons de banlieue.

Dans le même temps, les promoteurs immobiliers ont profité de leur maîtrise de l’utilisation du béton armé pour réaliser des porte-à-faux jusqu’alors impossible avec les matériaux dits traditionnels comme la pierre et ont ainsi décidé que tout appartement devait avoir un balcon.

L’apparition de ces saillies immenses ont mis fin au rythme et à l’ordonnancement séculaires des façades d’immeubles.

Le béton : la solution à tout ?… Pas vraiment

Vous allez me dire, .. Oui et alors ? Contrairement aux roches calcaires, le béton présente une grande résistance à l’érosion, un mur en béton ne risque pas de se désagréger à cause des intempéries , pas besoin de corniche ou avant-toit donc.

Oui et non. En réalité le béton de ciment est un assemblage de matériaux de nature minérale, qui même s’il offre d’un point de vue macroscopique une très bonne imperméabilité aux ruissellements de l’eau, n’en reste pas moins en réalité un matériau poreux, permettant à la pluie de s’y infiltrer rapidement de manière superficielle et d’y laisser une fois évaporée polluants et autres saletés…. d’où l’apparition de ces fameuses coulures noirâtres.

Et même si les architectures innovent ou réinventent l’architecture; malheureusement, comme le chantent Orelsan et Stromaé, y’a « toujours autant d’pluie chez moi ».

Demandez à nos deux amis s’il ne pleut pas à Caen et Bruxelles.

La composition de la pluie n’a que peu changé, sauf peut-être en ville où elle contient plus de particules polluantes et autres poussières qu’à la campagne. Pire encore… la pluie tombe toujours du ciel. Oui je trolle mais ces évidences ne le sont apparemment pas pour les architectes contemporains.

La preuve avec quelques photos ci-dessous d’immeubles au Plessis-Robinson où pourtant le Maire M. Philippe Pemezec a souhaité construire une ville à l’architecture  dite traditionnelle.

Malheureusement pour lui, les promoteurs ont bâti en grande partie (à l’exception du quartier du Cœur de Ville) des résidences avec les mêmes techniques et le même style que n’importe quel immeuble contemporain en y collant juste quelques fausses corniches de ci de là pour tenter d’imiter les modénatures de l’époque.

C’est parti !

Ici l’architecte s’est dit, on va mettre une belle grosse corniche mais pour donner encore plus de style, on va donner à la façade de cette tourelle un fruit. Quoi ? …. Un fruit ? non rien à voir avec le fruit que l’on mange. En architecture, on utilise le terme de fruit pour décrire l’inclinaison de la face d’un mur. Lorsque la base du mur est en avant de l’aplomb pris à partir du sommet, il y a fruit. Merci à l’excellent livre « Architecture : description et vocabulaire méthodiques » pour cette définition. Vous n’avez toujours pas compris ? Un fruit signifie simplement que la façade n’est pas droite mais légèrement penchée en avant.

Fruit empêchant les 2 premiers niveaux d’être protégés des intempéries.

Ici l’exemple est parfait, on voit bien que sous l’aplomb de la corniche il n’y a pas de traces de coulure. La façade est propre. Mais pour les 2 premiers niveaux non protégés par la corniche à cause du fruit, la situation est totalement différente, le ruissellement de l’eau sur la façade a laissé ses traces caractéristiques.

On continue ?

Ci-dessous, l’architecte s’est ingénieusement inspiré de l’utilisation qui était faite des corniches. On retrouve une importante corniche régnant au sommet de la façade. Celle-ci, étrangement composée de deux moulures en quart-de-rond et deux bandeaux, ressemble malheureusement beaucoup à un coffre de volet roulant; entre chaque étage, sont aussi disposées de plus petites corniches composées chacune d’un bandeau et d’un quart-de-rond. C’est parfait…On le voit bien, l’enduit de la façade est en bon état d’ailleurs. Tout cela semble fonctionner comme il faut.

Si près du but.. Pourquoi tout gâcher ?

Alors pourquoi avoir mis ces 2 balcons en surplomb, premièrement ils viennent briser l’harmonie de la façade et couper les corniches. Mais surtout, leurs dalles en béton sont dans un état déplorable. Vous avez compris pourquoi ?… Toujours la même raison, étant exposé à tous les vents et aux intempéries, l’enduit s’est effrité et le béton a noirci en surface.

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Ici on frôle la plus pure idiotie, il était facile de réaliser une loggia mais c’était tellement plus drôle et bête de coller une fausse corniche en suivant le renfoncement de la façade. Le résultat est catastrophique.

Chapeau l’artiste !

Photo suivante, l’architecte nous a pondu cette fois un balcon seul au monde sur une façade quasi aveugle. Mais surtout le constructeur a oublié d’y intégrer les fameuses pissettes (Vous savez, ce sont ces petits bouts de tuyaux disgracieux qui servent à évacuer l’eau). Ici pas besoin de chercher longtemps pour trouver par où l’eau s’est faufilée.

Sale

D’ailleurs on peut se questionner sur la popularité de ces pissettes. Ce système primaire d’évacuation d’eau est le cauchemar de nombreux habitants de rez-de-chaussée qui subissent un terrible bruit de cascade lors des grosses averses. Si j’étais jeune promoteur tout juste sorti de mon école de commerce option métiers de l’immobilier, je répondrais probablement : « Les descentes de gouttière sont devenues trop onéreuses et tellement cliché. You know what I mean? « . 

Terminons par cette photo qui se passe de commentaires …

Euh…. d’accord.

 

Conclusion  ?

Les architectes et les promoteurs devraient sans doute faire preuve d’une plus grande humilité. Si pendant plusieurs millénaires, l’architecture vernaculaire a toujours utilisé les mêmes éléments de base, c’est simplement pour répondre à des contraintes climatiques et géographiques.  Alors pitié, messieurs les promoteurs, cessez les pissettes, les balcons en surplomb dans le vide, et autres toits terrasses…. Afin d’éviter la détérioration prématurée des façades,  revenez à plus de bon sens, et redécouvrez ces éléments architecturaux extraordinaires que sont la descente de gouttière, le toit à versant, la corniche, le larmier, la loggia et même le balcon soutenu en façade par des consoles ou bien filant sur une corniche… Vous construirez de manière plus belle et pérenne.

 

PS : Pour les personnes qui reconnaîtront leur appartement sur ces photos, sachez que cet article n’a pas pour but de se moquer de votre « chez-vous ». Ces photos ont été prises uniquement pour illustrer les absurdités que l’on retrouve trop souvent dans la construction d’immeubles contemporains.

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Passionné d'Archi et de Réseau

6 Commentaires

  1. Salut, d’un Remi à un autre : je trouve ton article bien écrit, et il illustre parfaitement les grandes problématiques liées à une mauvaise gestion de l’eau pluviale. On peut évoquer également des appuis de fenêtres mal pentés, qui engendrent les fameuses « moustaches », les couvertines qui rejettent l’eau vers la façade et non la toiture, ou l’absence de garde d’eau en pied. Par contre, c’est un peu facile de tacler les architectes, on n’est pas (tous) comme ça. Certains d’entre nous ont une culture technique, à défaut d’historique, et cherchent à faire des bâtiment durables et de qualité, avec les moyens qu’on veut bien nous donner. La plupart du temps, ce sont les promoteurs ou les bailleurs sociaux qui sabrent les modénatures et autres éléments « couteux », et imposent de tirer droit (sous entendu, faire du pas cher). Ces structures ont souvent une organisation complexe avec un service achats différent du service travaux, lui-même différent du service entretien, ce qui n’aide pas au retour d’expérience (sans compter que la plupart de mes contacts aux travaux sont des petits jeunes qui restent 4/5 ans avant de partir « plus haut »).. Et je ne parle même pas des entreprises, qui vont au plus simple et emploient du personnel sous-qualifié. Bref, je m’arrête là pour ne pas ouvrir le bureau des pleurs, mais je tenais à faire savoir qu’il s’agit plus à mon avis d’un problème global que d’une simple carence culturelle des architectes. Même s’il y a des ânes bâtés, je ne le nie pas !

  2. sanglier78 Reply

    Le pire, cest que des bâtiments qui ne souffraient pas de coulure avant le ravalement de 2000, exemple la résidence du clos Saint Vigor, suite aux changements des rembardes des balcons, souffre de coulure à chaque point d’encrage de celles-ci, et quand on voit le profil de l’attache, c’est parfait pour faire stagner l’eau et pousser les mousses et lichens. Tout les nez de balcons sont en dégradation avancée, tout ceci par l’introduction d’une magnifique malfaçon lors du dernier ravalement.

    • Naze mtheo Reply

      Très bon article. Et nous a l île de La Réunion, avec les pluies diluviennes de l été austral, c est catastrophique ! Je suis en rez de chaussée d une résidence qui a été vendue comme de standing. Je subis toutes les incivilités de nettoyage des résidents au dessus. Ce qui crée des tensions car souvent ils ne préviennent même pas et vlan le seau d eau sur la tête. Avec les coulures et le manque d étanchéité des balcons, c est moche et la résidence est comme un mauvais hlm de banlieue… Et ce sont des copier-coller partout en France…

  3. L’inventaire est intéressant et beaucoup de points sont justes…
    Mais il faut aussi s’intéresser aux rouages de l’acte de bâtir aujourd’hui, bien souvent complètement ignoré par les médias.
    Par exemple, on a lu que si les plaques métalliques de la Philharmonie de Paris tombaient, c’était la faute de Jean Nouvel… Comme si notre starchitecte national avait lui-même posé les plaques avec ses petites mains et son escabeau, en occultant la responsabilité de la multinationale qui a exécuté les travaux !
    Donc je précise :
    Un architecte va élaborer un projet et en dessiner les façades (en général un dossier de Permis de Construire), avec, la plupart du temps, un souci de qualité et d’harmonie, mais parfois pas du tout. Les travaux ne sont pas systématiquement suivis par l’architecte qui a dessiné le projet, souvent trop cher ou remplacé par un maître d’oeuvre d’exécution ou un “pilote” de chantier. Parfois, c’est l’entreprise elle-même qui va exécuter les détails en suivant sa méthode ou le savoir faire de ses ouvriers, sans forcément se poser de questions…
    On ne peut donc pas affirmer que tous les désordres proviennent d’une maladresse ou d’une mode, dont est porteur l’architecte.
    Gérer l’eau est un défi depuis qu’homo sapiens se construit des abris. Il existe une multitude de méthodes pour la canaliser cette eau. Des corniches, moulure, avant-toits, gênoises, etc… Il faut ajouter les appuis de fenêtres, les bavettes et autres ouvrages en métal (zinc traditionnellement). Ces ouvrages-là sont souvent zappés par les constructeurs (promoteurs, particuliers, entreprises…) à cause de leur coût ou simplement par omission. Les illustrations du reportage le montrent bien.
    Et aucune solution idéale n’existe !
    On aura beau construire des avant-toits, des corniches et autres couvertines, ça ne met pas à l’abri des pluies rasantes qui, de toute façon vont tremper les parois (l’eau ne tombe pas toujours à la verticale).
    Pour terminer, construire est complexe, et les constructions s’entretiennent, comme les voitures…
    Andre Nowak architecte

  4. Moui, alors autant je vois bien le problème engendré par cette mode, autant je préfère largement avoir des murs moches et même une petite fuite thermique plutôt que pas de balcon. C’est vraiment un comfort important de pouvoir se mettre au soleil, dehors, avec une vue à 180° à l’extérieur plutôt qu’à travers quelques fenêtres.

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