En février 2020, le président américain, Donald Trump, a fait savoir qu’il souhaitait imposer aux nouvelles constructions fédérales du pays un style néo-classique ou du moins plus traditionnel, à l’image des grands édifices de Washington D.C.

Aimer l’architecture d’avant-guerre, forcément Réac et fasciste ?

Sans surprise, on a assisté à une véritable levée de boucliers des architectures contemporains et des médias grand-public avec l’utilisation d’arguments très idéologiques et souvent totalement outranciers. The Guardian publiait  par exemple le 29 février dernier un article nommé : Quand la beauté classique est dans l’œil du contemplateur de droite – source.

La journaliste, India Block, expliquait entre autres :

  • qu’aimer la vieille architecture revient à être passéiste, misogyne et à vouloir posséder des esclaves :

« En résumé, ce désir d’un retour à la beauté classique masque souvent un désir de régresser vers un passé plus ou moins récent où la diversité était un vice et l’assujettissement une vertu. Ce désir renvoie également à une société de propriétaires d’esclaves et où le pouvoir des femmes se limitait à celui du foyer, car elles ne pouvaient ni voter ni occuper des fonctions publiques.  »

  • à être un suprémaciste blanc :

« L’architecture antique classique,  de par son allusion à la suprématie blanche, est un refuge visuel et psychique pour toutes ces angoisses. »

Il faut le savoir, les cités antiques de Pétra, de Syrie, ou même d’Iran et d’Egypte, sont les vestiges « antiques » de peuples blancs européens reclus sur eux-mêmes et non pas l’héritage des grandes civilisations et peuples de Méditerranée et du Moyen-Orient.

La journaliste britannique, qui a vraisemblablement beaucoup dormi durant ses cours d’histoire, concluait son article avec le fameux point Godwin afin de s’assurer que le lecteur ait bien compris le lien étroit entre chapiteau dorique et nazisme :

« Albert Speer était un passionné de belles ruines de la Grèce et Rome antiques. L’architecte préféré d’Hitler a été le pionnier du concept de Ruinenwert, ou l’art de mettre en valeur les ruines. »

Et dans la réalité ?

Mais voilà que la National civic Art Society vient de publier un sondage conduit auprès de 2000 américains par Harris Poll concernant cette controverse sur le retour à une architecture dite traditionnelle pour les bâtiments publics américains. Et on peut dire que les résultats sont très loin des élucubrations d’une certaine presse et de ses architectes.

Vous trouverez l’étude traduite ci-dessous. Pour les anglophones, vous pouvez la retrouver sur le site civicart.org ou en pdf ici.

Pour les palais de justice ou les bâtiments fédéraux, le style dit traditionnel est clairement plébiscité avec plus de 7 Américains sur 10 (72%) préférant une architecture « classique » pour reprendre le terme utilisé outre-Atlantique.

Si la beauté semble effectivement subjective, on peut cependant constater qu’une majorité très nette se dégage aux Etats-Unis en faveur de l’architecture traditionnelle d’avant-guerre.

Cette préférence pour l’ancien, contrairement à ce qui a été souvent publié dans la presse américaine, n’a pas de couleur politique particulière. Elle est de 73% chez les électeurs républicains, de 70% chez les démocrates et de 73% chez les indépendants.

Elle dépasse même tous les autres clivages, que ce soit par rapport au genre, à l’âge, à la région géographique, au revenu du ménage, au niveau de scolarité ou même à l’origine ethnique:

  • Les styles traditionnels ont la faveur de 77% des personnes âgées de 65 ans ou plus et de 68% de celles âgées de 18 à 34 ans.
  • Les femmes américaines sont plus susceptibles que les hommes de préférer l’architecture traditionnelle – 77% contre 67%, respectivement.
  • La majorité des Américains noirs (62%), hispaniques (65%) et blancs (75%) préfèrent l’architecture traditionnelle.
  • Le fait d’appartenir à «l’élite» – c.à.d. appartenir aux catégories supérieures de revenus et d’éducation – ne change rien aux résultats. Les Américains dont le revenu du ménage est inférieur à 50 000 $ sont 73% à préférer l’architecture traditionnelle et ceux dont le revenu du ménage est supérieur à 100 000$ sont 70%. De même pour le niveau d’études, ceux n’ayant aucun diplôme dans le supérieur sont 72% a préféré la pierre et les colonnes;  et ceux ayant un BAC+3 ou plus sont 72%.


Par rapport aux bâtiments traditionnels de l’étude, les bâtiments modernes suivent un style plus minimaliste et austère mettant l’accent sur le verre, le béton et les formes géométriques nettes. Les trois bâtiments de style brutaliste, qui figurent en bas de classement, présentent tous une façade en béton gris sans ornement avec des ouvertures répétitives uniformes, qui peuvent donner une sensation plus froide et stérile que les structures aux formes plus traditionnelles utilisant comme matériaux la pierre et la brique, considérés comme étant plus nobles.

  • Bâtiment fédéral Robert C. Weaver (HUD HQ) – 19%
  • Palais de justice fédéral de Hammond – 19%
  • Immeuble Hubert H. Humphrey (HHS HQ) – 17%

Les bâtiments de style brutaliste sont les moins aimés du sondage :

Les résultats deviennent beaucoup plus serrés quand les bâtiments modernes utilisent des matériaux tels que la brique, des dalles de pierre, des couleurs chaudes…

 

…mais sont sans appel quand il s’agit du style déconstructiviste 

Pour conclure, je citerai l’étude qui dans son analyse pour expliquer un choix si tranché de tous les américains, avance cette idée folle.

Il est possible que les Américains perçoivent les bâtiments traditionnels comme étant plus beaux ou plus agréables à regarder que les bâtiments modernes. Peut-être perçoivent-ils également ces bâtiments comme étant plus ouverts et plus accessibles.

Author

Passionné d'Archi et de Réseau

Laisser un commentaire