Depuis maintenant une vingtaine d’années des mesures législatives et réglementaires se sont multipliées en faveur de la densification des villes; notamment en île-de-France où le SDRIF (Schéma directeur de la Région Ile de France) encourage la densification des quartiers de gare.

Mais avant d’entrer dans le détail de ces mesures, prenons le cas concret de deux villes : la première sera Aix-en-Provence en France, le petit centre-ville est entouré d’une large étendue péri-urbaine, la seconde sera Bologne en Italie, une des villes les plus vieilles et densément bâties d’Europe.

Deux villes méditerranéennes à la morphologie bien distincte

Aujourd’hui, les aires urbaines de ces deux villes à l’histoire bien différente sont de tailles comparables (environ 140Km²) mais, vu de l’espace, elles montrent des morphologies bien distinctes.

La première (à gauche) est peuplée de 140 000 habitants quand la deuxième dépasse les 380 000 habitants. En zoomant un peu sur les quartiers périphériques de ces deux villes, ces différences de densité s’expliquent aisément. La périphérie de la ville italienne présente un urbanisme de moyenne densité, constitué d’immeubles de moyenne hauteur séparés par de petits jardins et des cours, comme on peut le voir dans l’exemple ci-dessous du quartier de Bolognina situé au nord de la métropole italienne.

Cet urbanisme de densité permet le maintien de nombreux commerces de quartier et malgré une faible offre en transport en commun dans cette partie nord de la ville, les habitants peuvent se passer de leur voiture du fait de la proximité de la plupart des services.

A Aix-en-Provence, on retrouve en lieu et place une zone péri-urbaine de faible densité constituée de maisons de plain-pied possédant pour la plupart une piscine et un grand jardin. Ces véritables petits royaumes privés construits après-guerre sont directement copiés du modèle de la « Suburbia ». Autrement dit, le rêve américain de la maison de banlieue avec pelouse, piscine et belle voiture.

Les deux photos ci-dessous montrent le quartier des Plaines au Nord-Ouest de la ville. Ces pavillons entourés de verdure et desservis par d’étroits chemins, le tout baigné par le soleil méditerranéen, n’ont rien à envier aux très chics banlieues des collines de Los Angeles.

Mais si certains quartiers pavillonnaires huppés du Sud-Est de la France font rêver, nombre d’entre eux sont en réalité des exemples de laideur. Uniformisation et standardisation architecturale, banalisation des paysages, environnement dégradé, la banlieue pavillonnaire à la française dépasse bien souvent la laideur des versions américaines.

Surburbia à la française

Pour arriver à cet exploit, les zones pavillonnaires hexagonales s’appuient sur deux spécificités :

  • Les clôtures
  • l’utilisation du parpaing de ciment comme matériau de construction

Là où la banlieue américaine se conçoit comme un espace ouvert, une sorte de grand jardin dans lequel sont disposés des maisons familiales en bois, et pour les plus cossus d’entre elles en brique;

Pelouses ouvertes et maisons en bois – Suburbs made in USA

En France, chaque terrain est séparé  du voisin par une clôture, un muret, une haie ou autres claustras. Les  pavillons hexagonaux sont presque toujours construits selon le modèle  de la maison Phénix, c.à.d. des parpaings recouverts d’un enduit beigeasse. Pour relier toutes ces paisibles rues en cul-de-sac, les maires de ces villes usent et abusent de ronds-points aussi moches qu’inutiles.

Vous pouvez retrouver tous ces éléments dans les exemples ci-dessous situés en région parisienne, à Persan et Dammartin.

Ces grandes zones pavillonnaires de  faible densité urbaine ne permettent pas l’installation de commerces de proximité et sont par conséquent toujours accompagnés de zones commerciales, ce qu’on appelle Outre-atlantique des « malls » .

Dans l’exemple précédent d’Aix-en-Provence, si l’on ne voit aucune zone commerciale sur la photo satellite (vous pouvez chercher) c’est car celle-ci se trouve plus au sud, à Plan-de-Campagne.

Les zones commerciales

Plan-de-Campagne présente toutes les caractéristiques des zones commerciales qui ont poussé à l’entrée de toutes les grandes villes françaises, on y trouve une départementale embouteillée le long de laquelle s’alignent d’immenses panneaux publicitaires, derrière lesquels au milieu de grandes étendues de parkings émergent des entrepôts aux façades aveugles faits de tôle et coiffés d’un logo ou de lettres aux couleurs criardes.

Quelque soit le pays ou la région, les zones commerciales présentent le même paysage banalisé et enlaidi.

Après avoir poussé comme des champignons à travers la France, ces zones commerciales ont fini par faire l’unanimité contre elles, que ce soit les réacs du « bon-goût » dont je fais partie ou bien les vertueux écologistes qui en dénoncent les conséquences environnementales.

Malheureusement le principe éculé consistant à affirmer que la beauté est subjective a permis de légitimer le développement de zones commerciales et pavillonnaires d’une grande laideur. Cependant à partir des années 1990 la multiplication d’articles de presse et d’ouvrages traitant de l’étalement urbain sous l’angle de ses conséquences environnementales, économiques et sociales, a enfin permis la remise en cause de ce modèle.

Les effets néfastes de l’étalement urbain

Parmi ces effets négatifs, on peut citer les dépenses importantes associées à l’ajout d’infrastructures toujours plus étendues, la perte de terres agricoles au profit de nouveaux développements résidentiels, l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre en lien avec le transport automobile, la détérioration de la qualité de l’air, une plus grande inactivité physique, une diminution des contacts sociaux, une offre culturelle réduite etc..

Voici un montage photo qui je trouve illustre parfaitement toutes ces conséquences néfastes. On y voit à droite un échangeur autoroutier à Atlanta entouré de quelques entrepôts s’étalant sur une superficie équivalente à celle du centre de Florence et ses 200 000 habitants.

Le centre de Florence 200 000 habitants vs un échangeur autoroutier à Atlanta 0 habitant.

La politique de densification en île-de-France

Face à toutes ces problématiques, les autorités franciliennes ont décidé à partir des années 2000 non pas de densifier les villes péri-urbaines (moins de 3000 hab/km²) mais au contraire de surdensifier la petite couronne et la ville de Paris (l’objectif de ces nouveaux quartiers nommés ZAC – Zone d’aménagement concerté – est d’atteindre des densités élevées autour des 20 000 hab/km²) . On passe ainsi d’une situation extrême à l’autre.

Le développement de ces ZAC s’est particulièrement accéléré à partir du début des années 2010 et du projet « Grand Paris ». Ci-dessous vous trouverez quelques exemples emblématiques des ces nouveaux quartiers à Paris Masséna-Nord, Boulogne-Billancourt et Gennevilliers.

Si la banlieue pavillonnaire et ses zones commerciales sont aujourd’hui décriées et dépeintes comme moroses. Je trouve personnellement que ces ZAC et autres écoquartiers bétonnés n’ont rien à leur envier en termes de tristesse et laideur.

La revanche du pavillon

Si ces quartiers densément bâtis permettront de réduire quelques conséquences néfastes de l’étalement urbain, il faut cependant rappeler plusieurs faits importants.

Ces constructions s’effectuent dans des quartiers déjà denses manquant cruellement d’espaces verts pour lesquels il aurait été souhaitable d’aménager des parcs au lieu de finir de bétonner les rares parcelles encore disponibles (je parle ici de grands parcs, et non de minuscules parterres de pelouse et pseudo potagers pour se donner une bonne conscience écologique). Voir les cas emblématiques à Paris de la gare d’Austerlitz et du quartier Masséna-Nord.

Aussi ces opérations immobilières situées à proximité de Paris et des gares dans des quartiers gentrifiés sont avant tout de formidables opérations financières pour les promoteurs et investisseurs.

En 2021, les prix des ZAC de Masséna Paris et Boulogne dépassent les 10 000€/m² tandis qu’à Gennevilliers les prix oscillent autour des 8000€.

Ces constructions ne permettront donc pas aux classes moyennes de se loger dans le cœur de Paris ou à proximité. Cette politique ne profitera qu’aux investisseurs et aux rares « chanceux » qui pourront bénéficier des quelques logements sociaux qui y sont intégrés.

Le pavillon péri-urbain avec un prix au m² bien plus abordable,  tout en offrant un jardin et un environnement plus agréable que ces zones surdensifiées a donc encore de beaux jours devant lui.

Ce constat est d’autant plus vrai depuis la pandémie du covid-19 qui a donné un second souffle à ce modèle urbain tant décrié. A l’heure du télétravail généralisé,  de la limitation des interactions et contacts physiques, c’est en effet d’une certaine manière la revanche du tout voiture et des zones péri-urbaines. Reste à savoir si la dynamique récemment enclenchée vers ces zones va durer une fois la crise sanitaire terminée.

Dans le cas francilien, n’aurait-il pas été plus logique pour stopper l’étalement urbain et ses effets néfastes de densifier les banlieues pavillonnaires et créer dans ces villes de nouvelles centralités, indépendantes de Paris ?

Un urbanisme de densité moyenne comme présenté en début d’article pour le quartier de Bolognina en Italie est une synthèse intéressante. Cette morphologie urbaine permet d’éviter à la fois les défauts des zones péri-urbaines et des quartiers gentrifiés très denses.

De manière plus générale, les problématiques et les enjeux soulevés par la péri-urbanisation et la surdensification mettent en évidence le désengagement des pouvoirs publics dans les politiques urbanistiques au profit d’acteurs privés.

Or l’intérêt commun de la cité sur le long terme et les intérêts de quelques particuliers ou entreprises sont malheureusement, bien souvent, totalement divergents.

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Passionné d'Archi et de Réseau

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