La pierre agrafée est une technique d’habillage utilisée pour les façades. Elle consiste à couvrir un bâtiment en béton de plaques de pierre. Contrairement à une façade en pierre de taille où les blocs de parement sont scellés avec du mortier à la maçonnerie, les plaques de pierre sont ici fixées par des attaches chevillées dans le mur en béton.
Cette méthode peut aussi servir dans la mise en œuvre d’une isolation par l’extérieur (l’isolant se glissant en sandwich entre le parement et le mur porteur) tout en gardant un aspect « esthétique de qualité ».
Or dans les faits, l’esthétique de cette technique donne des résultats très éloignés d’une véritable façade en pierre. Pour l’illustrer, j’ai pris l’exemple du quartier flambant neuf du Panorama à Clamart.
Le nouveau quartier du Panorama selon le promoteur
Le promoteur Verrecchia décrit ce nouveau programme de la manière suivante :
ARCHITECTURE DE STANDING ET ENVIRONNEMENT BUCOLIQUE
Au coeur du quartier Panorama à Clamart, Beaurivage est imaginé dans un style Haussmannien dont l’architecture révèle la pierre de taille. Beaurivage propose 5 résidences pour tous les styles de vie.
Source : ici
Premièrement, il s’agit nullement de pierre de taille mais bien de pierre agrafée. En comparant l’école du quartier du Panorama qui se veut d’inspiration dorique à la façade de l’université Paris-Descartes, on ne peut que se désoler du fossé existant.
En plus du rendu peu convaincant de la pierre agrafée, on peut remarquer ici l’ignorance des codes de base des ordres classiques. Les corniches ont disparu, le fronton est nu et les proportions ne sont pas respectées avec une base flottant au dessus du sol, aussi large que la colonne qu’elle est censée « soutenir ».

L’ordonnance ternaire, qui à travers l’histoire a rythmé l’architecture aussi bien des colonnes que des façades, est étrangement absente de cet édifice public qui se veut pourtant un pastiche d’architecture classique. Bref, c’est complètement raté.
Des corniches ? Vraiment ?
L’architecture haussmannienne, dont le promoteur explique s’être inspirée, présente couramment des consoles. Ces éléments architecturaux sont constituées de deux ou trois pierres sculptées en ressaut sur la façade. Souvent extrêmement travaillées et élaborées, elles n’ont pas qu’un but esthétique mais servent aussi à soutenir des corniches, des balcons, ou encore des colonnes. Voir les exemples ci-dessous :
Maintenant, admirez la version moderne de la console faite de plaques préfabriquées, le résultat est juste grotesque.
La console ne soutient rien, elle est carrée, d’une naïveté désolante, faite d’un entassement de plaques mal jointes laissant apparaître un jeu entre chaque élément. On est plus dans la version Minecraft ou Lego d’une corniche que dans une véritable version revisitée.
Quant aux corniches, ce sont des baguettes de plâtre coincées entre les plaques de parement. Leur côté factice est d’autant plus visible qu’elles ne sont pas contiguës à la façade :
Finitions et travail de la pierre
Auparavant, la pierre équarrie (dégrossie pour obtenir 6 faces planes) était retravaillée sur le chantier par le tailleur de pierre afin de lui donner la forme adéquate pour venir se joindre sans discontinuité aux pierres voisines. Voir l’exemple ci-dessous de marches scellées dans une pierre de soubassement elle-même retravaillée pour laisser apparaitre une moulure verticale servant d’encadrement à la porte d’entrée.
Pour ce genre de finitions, il fallait aux artisans et ouvriers un grand nombre d’outils ( chasse, massette, gradine , ciseaux, pics etc.) et surtout du savoir-faire et de la technique.
Forcément aujourd’hui, avec comme seul outil la meuleuse et un recours massif à des ouvriers peu qualifiés, le travail de la pierre et ses finitions ne sont pas du même niveau :
Evacuation des eaux pluviales
Passons maintenant à la toiture.
Toujours inspiré par l’architecture haussmannienne et parisienne des 19e et 20e siècles, le constructeur a souhaité couronné ses immeubles de combles brisés. Sa liberté d’artiste l’a poussé à imaginer des lucarnes dans la continuité de la façade qui viennent briser la corniche, empêchant ainsi l’installation d’un chéneau en bas du toit. On retrouve ce type de choix architectural dans de nombreux immeubles parisiens.
Mais sans gouttière en bas de la toiture, comment faisait-on à l’époque pour évacuer les eaux de pluie ? La solution est en fait assez simple.
Comme vous pouvez le voir sur le plan en coupe ci-dessus, le chéneau (gouttière) est placé sur la ligne de bris. L’eau tombant sur le terrasson (partie la moins inclinée du comble brisé) y est collectée avant d’être acheminée vers l’unique descente de gouttière située à l’extrémité de la façade.
Pour le brisis et les lucarnes, l’eau est simplement évacuée en gouttant depuis la corniche qui protège ainsi la façade sous-jacente des effets néfastes des intempéries. Voir l’article : Et les architectes oublièrent que la pluie tombe du ciel.
L’immeuble en photo ci-dessus, située au 302 rue de Vaugirard à Paris, est un bel exemple de cette technique architecturale. La magnifique façade ne présente qu’une seule descente de gouttière, à peine visible, placée à la limite avec l’immeuble voisin.
Maintenant imaginez que vous devez arriver au même résultat mais que comme tout constructeur et promoteur contemporain, vous n’avez aucune idée de ce à quoi peut servir une corniche ou un chéneau.
Comment faites-vous ? … Bah malheureusement vous faites comme ci-dessous :
Une descente PVC par pan de toit. Magnifique ! Heureusement qu’il s’agit d’un programme de standing .
Bref … Tous ces exemples amènent à de nombreuses questions.
A quand une prise de conscience de la médiocrité de ces programmes immobiliers prétendument néo-Haussmanniens ?
Combien de verrues architecturales devront être encore bâties avant un retour aux véritables techniques de construction, de parement et d’ornementation ?
En tout cas, ce sujet commence enfin à être débattu dans les médias grand-public avec des articles notamment dans le Figaro ou dans Le Point.
Pour terminer voici quelques photos du quartier du Panorama :
11 Commentaires
Pourquoi les architectes acceptent-ils de dessiner tout cela ?
1 – Parce que leur formation néglige l’enseignement des règles classiques. Lorsque j’étais étudiant on commençait par apprendre à tendre une feuille de papier rives sur une planche, puis à « faire ses ordres » c’est à dire à copier les planches de Vignole pour apprendre les Rudiments (c’est le titre d’un petit ouvrage de Georges Gromort que j’ai encore dans ma bibliothèque) de l’architecture classique. Nous pensions que nous n’aurions jamais à utiliser ces connaissances, et que nous serions plus inspirés par les enseignements de Gropius et de Le Corbusier, mais nous étions imprégnés de ces règles et de ces proportions.
2 – Parce que les promoteurs les payent, qu’il faut bien vivre et que refuser de se plier aux injonctions du marché demande une certaine dose d’abnégation, pour ne pas dire d’héroïsme. Et aussi parce que certaines pratiques dites « signatures de complaisance » peuvent exister.
Bonjour Rémi: je un architecte qui a grandi dans les Hauts de Seine (Puteaux/La Défense) puis Suresnes: je suis affligé pas ces constructions pastiches « néo clac »! Bravo pour votre article.
Merci d’avoir mis des mots et des explications techniques qui me manquaient, mais que je présentais lors de mes promenades, Clamart ne se construit plus que dans ce « style ». J’ajoute que chacune de ces réalisations comprend une constellation de malfaçons, de délais et de budjets explosés.
Ça fait du bien de lire votre article, je commençais à penser que je devenais un vieux con attaché à ces valeurs du passé qu’étaient l’amour du beau et de la vérité (et aussi de l’architecture contemporaine !)
Merci !
Bravo pour cet article ! C’est très clair pour quelqu’un comme moi qui ne connait pas l’architecture et cela confirme mes impressions visuelles
Remarquable ! Merci.
Je vous remercie du compliment.
Trop content de vous lire de nouveau 🙂
Merci Rolland 👍